Contamination interne par les médicaments anticancéreux des personnels de santé dans les pays en développement, exemple de la Mauritanie

7 octobre 2016

M. Canal-Raffin1, B. Martinez2, M. Mohamedou3, F. Pilliere4, A. Leclercq5, K. Titier6, M. Molimard1, M. Cheikh EL Moustaph Sidatt7 1 PharmD, PhD. Laboratoire de Pharmacologie Clinique et de Toxicologie, CHU Bordeaux,
Université de Bordeaux, INSERM 1219, France
2 INSERM 1219, Bordeaux, France
3 MD. Directeur Général du Centre National d’Oncologie, CNO, Professeur à la faculté de médecine de Nouakchott. Mauritanie
4 MD. Institut National de Recherche et de Sécurité, INRS. Département Etudes et Assistance Médicales, Paris, France
5 PharmD. Laboratoire Cerba, Saint Ouen d’Aumône, France
6 PharmD, PhD. Laboratoire de Pharmacologie Clinique et de Toxicologie, CHU Bordeaux, France
7 MD. Chef de Service technique, Office National de la Médecine du Travail (ONMT), Nouakchott, Mauritanie

Contexte

L’incidence du cancer est en constante augmentation dans le monde. En Mauritanie, grâce à une volonté politique nationale, la lutte contre le cancer se met en place progressivement avec notamment la création en 2010, d’une structure médicale spécialisée dans la prise en charge du cancer : le Centre National d’Oncologie (CNO). Depuis son ouverture, le nombre de cas de cancer diagnostiqués et traités n’a cessé d’augmenter ainsi que, par conséquent, le nombre de médicaments anticancéreux administrés (6121 en 2015). Cela se traduit par une augmentation de la charge de travail du personnel toutes catégories confondues, de leur exposition professionnelle potentielle à ces médicaments et cela rend nécessaire une évaluation du risque chimique lié à la manipulation de ceux-ci. Ces molécules appartiennent à la liste « des médicaments dangereux lors de la manipulation » dressée par le NIOSH du fait de leur(s) potentiel(s) effet(s) mutagène, cancérogène, toxique pour la reproduction. Des mesures de protection collective et individuelle sont actuellement en place pour réduire au minimum le risque de contamination des personnels de santé susceptibles d’être en contact avec des médicaments anticancéreux. Ces mesures nécessitent cependant d’être évaluées voire renforcées et, c’est dans ce contexte qu’une intervention de Santé au Travail a été menée au CNO avec l’objectif est de déterminer les niveaux de contamination interne des personnels de santé aux médicaments anticancéreux auxquels ils sont exposés.

Méthodes

L’intervention s’est déroulée en Novembre 2015 au CNO de Nouakchott, en Mauritanie. Le personnel infirmier (IDE) préparant et administrant les chimiothérapies ainsi que les agents en charge de l’hygiène (AH) des services de soins (hôpital de jour et hospitalisation) ont été invité à participer. La contamination interne a été évaluée à l’aide de la biométrologie (ou surveillance biologique de l’exposition professionnelle (SBEP)) qui est un outil essentiel de l’évaluation du risque chimique pour le Médecin du Travail. Chaque participant a rempli un auto-questionnaire et fourni un prélèvement urinaire en fin de poste - fin de semaine. L’auto-questionnaire a permis de recueillir des données sur les médicaments anticancéreux manipulés (nature, quantités), sur les tâches effectuées et les conditions d’exposition (équipements de protection collective, port d’équipements de protection individuelle). Les prélèvements urinaires ont été analysés à l’aide de méthodes spécifiques et de hautes sensibilités (UHPLC-MS/MS) adaptées à la réalisation d’une SBEP aux médicaments anticancéreux. Quatre molécules fréquemment manipulées au CNO ont été recherchées et quantifiées dans les urines avec une limite de quantification (LQ) très basse : LQ de 2.5 ng/l pour le cyclophosphamide (CP), l’ifosfamide (IF) et le méthotrexate (MTX) ; LQ de 20 ng/l pour l’alpha-fluoro-béta-alanine (FBAL, métabolite du 5-fluoro-uracile). Un sujet est considéré comme « contaminé » dès lors que, dans ses urines, la concentration pour au moins 1 des 4 médicaments anticancéreux recherchés a une valeur égale ou supérieure à la LQ.

Résultats - discussion

Au total, 12 personnes ont participé dont 6 IDE et 6 AH et, 12 échantillons urinaires ont été recueillis et analysés. Le taux de contamination interne est élevé : 66,6% sur l’ensemble des participants (n=8/12), 100% pour les IDE (n=6/6) et 33% pour les AH (n=2/6). Chez 62,5% (n=5/8) des personnes contaminées, 2 à 3 médicaments anticancéreux recherchés ont été détectés dans les urines. Le cyclophosphamide a été retrouvé dans les urines de tous les sujets contaminés. Le FBAL a été retrouvé chez 4 sujets et le MTX chez 3 personnes. Seul l’IF n’a jamais été détecté dans les échantillons urinaires. Les niveaux de concentrations urinaires (toutes molécules confondues) s’étendent de 3 à 844 ng/l pour les IDE et de 3 à 44 ng/l pour les AH. Les valeurs médianes des concentrations urinaires sont de 87 ng/l pour le FBAL, de 15,1 ng/l pour le CP et de 4,4 ng/l pour le MTX.
En l’état actuel des connaissances, aucune interprétation ne peut être faite en terme de risque pour la santé des personnels exposés. Cependant, étant donnée, la dangerosité de ces molécules, la prévention est une priorité et la SBEP est un outil indispensable pour tracer les expositions insuffisamment maîtrisées et constitue un signal d’alarme. Le principe ALARA (As Low As Reasonably Achievable) s’applique, l’objectif étant d’atteindre des niveaux d’imprégnation les plus bas possibles. En l’absence de valeur biologique d’interprétation (VBI), les résultats des concentrations urinaires ne peuvent être comparés qu’aux LQ des méthodes analytiques qui doivent être les plus basses possibles. L’interprétation est qualitative et le travailleur est considéré comme ayant été exposé et contaminé si la concentration d’un médicament anticancéreux dans ses urines est égale ou supérieure à la LQ. Dans ce cas, les mesures de prévention doivent être revues.

Conclusion

Les résultats de cette campagne de mesures confirment l’existence d’une exposition professionnelle aux médicaments anticancéreux insuffisamment maîtrisée. Ils démontrent la nécessité de sensibiliser les salariés aux risques liés à leur manipulation, et l’importance d’engager des discussions avec le personnel autour des pratiques professionnelles et des conditions de travail. Il est indispensable également de renforcer les mesures de protections collectives et/ou individuelles et de mettre en place un suivi médical en tenant compte de l’état actuel des connaissances scientifiques et de bonnes pratiques, et des réalités socio-économiques de la Mauritanie.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

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