Contaminations chimiques par les anticancéreux en pharmacie hospitalière : Canada

11 novembre 2010

J.F. Bussières B.Pharm., M.Sc., FCSHP, MBA, chef, Département de pharmacie et Unité de recherche en pratique pharmaceutique, CHU Sainte-Justine,
Professeur adjoint de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal,
Montréal, Québec, Canada

Depuis la publication du chapitre 797 de la United State Pharmacopeia, de l’alerte NIOSH en 2004 et de nombreuses publications sur la contamination chimique par les anticancéreux en pharmacie hospitalière, les pharmaciens hospitaliers travaillent à mettre à niveau la pratique en ce qui concerne les préparations de médicaments dangereux.
Avec l’ajout d’une section sur les médicaments dangereux dans la proposition de version révisée du chapitre 797 à l’été 2006, on précise un seuil maximal de 1 ng/cm2 pour la contamination environnementale de cyclophosphamide, à titre de substance cible [1].
Toutefois, il n’existe actuellement au Canada aucune substance étalon ni aucun seuil maximal acceptable. Plusieurs pharmaciens prônent une approche « as low as reasonably achievable » (ALARA). Une revue de la documentation en ce qui concerne les trois types de surveillance a été publiée en 2006 [2] ainsi qu’une mise à jour en 2007 [3].

Une enquête sur les préparations stériles de médicaments au Canada a été menée à l’hiver 2007 [4].
Bien que l’enquête s’intéresse surtout à la conformité des pratiques en tenant compte du chapitre 797, quelques questions portaient sur les médicaments dangereux.
Une majorité de répondants déclarent avoir des politiques procédures pour la gestion des médicaments dangereux (92,8%), pour la préparation de ces médicaments (92,9%), des programmes de formation pour le personnel (95,9%) et l’obligation de porter des équipements de protection (96,9%).
En ce qui concerne le port de gants, il est d’une paire (18,8%) ou de deux paires (81,2%). Le port d’un masque (77,1%), de lunettes de protection (38,5%), de bonnet (82,3%), de couvre-chaussures (8,3%) est requis.
Une majorité de répondants utilisent une hotte à flux laminaire de classe II ou III (84,4%). Les médicaments dangereux sont étiquetés spécifiquement (80,4%), transportés de façon sécuritaire dans un contenant prévenant les déversements (88,7%) et des procédures strictes pour la gestion de retours est en place (88,7%). Près de la moitié des répondants (41,2%) rapportent préparer des médicaments dangereux dans une zone propre aussi utilisée pour des préparations de médicaments non dangereux. De ces répondants, la moitié utilise la même enceinte de préparation pour les médicaments dangereux et non dangereux.

Une enquête sur les médicaments dangereux au Québec a été menée au printemps 2006 [5]. L’enquête s’intéresse surtout à la conformité des pratiques en tenant compte de l’alerte NIOSH. Il s’agit d’une étude descriptive à partir d’une enquête effectuée par courrier électronique. Le questionnaire a été expédié à tous les chefs de pharmacie d’établissement de santé du Québec comportant au moins 50 lits de courte durée entre le 1-5-2006 et le 30-06-2006. L’enquête révèle une méconnaissance des lignes directrices. Bien que les politiques/procédures ne soient pas une panacée, l’enquête révèle la nécessité d’une mise à niveau importante pour plus de la moitié des thèmes étudiés.
De plus, on note un taux de conformité inférieur à 50% pour 17 des 40 règles de pratiques évaluées, découlant des recommandations de l’alerte NIOSH. On rapporte des activités de surveillance environnementale à la pharmacie seulement dans 2 % des cas et aucune sur les unités de soins/cliniques ambulatoires. Les répondants rapportent un programme de surveillance médicale du personnel de la pharmacie dans 25 % des cas et pour le personnel des unités de soins/cliniques dans 18 % des cas.

Suite à différents travaux réalisés au CHU Sainte-Justine indiquant la présence de traces de médicaments dangereux [6], [7], nous avons amorcé des travaux de recherche avec l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) afin de mettre en place une méthode de surveillance environnementale (et éventuellement biologique) pour quatre substances cibles (i.e. cyclophosphamide, ifosfamide, méthotrexate et fluorouracil) à l’échelle du Québec. La méthode a été validée au cours du printemps 2007 et les tests seront offerts à tous les établissements intéressés à partir d’octobre 2007. Un portait de la situation québécoise sera établi à l’automne 2008 à partir des résultats des établissements volontaires. Compte tenu du déménagement de la pharmacie d’hémato-oncologie du CHU Sainte-Justine dans de nouveaux locaux conformes en juin 2007, une étude pré (février 2007, n = 75 prélèvements) et post (août 2007, n = 75 prélèvements) est en cours.

Dans la foulée de ces publications et de travaux au CHU Sainte-Justine, l’Association pour la santé et la sécurité au travail – secteur affaires sociales (ASSTSAS) a mis en place en 2006 un comité sur les médicaments dangereux et publiera en septembre 2007 un Guide sur les médicaments dangereux.
Ce guide comporte 15 chapitres en présentant les recommandations par grandes étapes du circuit du médicament (de la réception à l’entreposage, de la préparation à l’administration, de la disposition à la surveillance, etc.).
Dans ce guide, une section porte sur la surveillance. On peut notamment y lire que « malgré l’adoption de pratiques sécuritaires, dans les départements de pharmacie, relativement à la gestion et la manipulation des médicaments dangereux, tel les antinéoplasiques, les travailleurs peuvent encore être exposés. (…).
Les conséquences d’une exposition professionnelle sont difficiles à documenter et les résultats des études sont inconstants parce que les aménagements et les méthodes de travail changent constamment. La présence de médicaments dans les urines signale néanmoins une carence dans les mesures de prévention. (…) [8] Il existe une controverse quant à la hiérarchie des types de surveillance. Doit-on favoriser une surveillance médicale, biologique ou environnementale ? [9] Des prélèvements de surface négatifs suffisent-ils à confirmer la protection des travailleurs ? Doit-on forcément obtenir des prélèvements biologiques ? Une combinaison de surveillance environnementale et biologique est sans doute souhaitable, lorsque des méthodes analytiques sont disponibles à large échelle.

Actuellement au Canada, il n’existe aucun consensus sur la surveillance requise. La société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux favorise la tenue d’un bilan médical (i.e. formule sanguine complète) aux 6 mois depuis une dizaine d’années. Toutefois, cette recommandation est peu suivie par les établissements. Le Guide sur les médicaments dangereux proposera des recommandations en ce qui concerne les trois types de surveillance. Nous présentons ci-dessous les mesures de préventions et recommandations, issues du chapitre 15 de ce guide.

15.3.1 Programme de surveillance de l’exposition potentielle aux médicaments dangereux

Mettre sur pied un programme de prévention de surveillance.

15.3.1.1 Chaque établissement doit mettre sur pied un programme de surveillance de l’exposition potentielle aux médicaments dangereux pour les travailleurs qui manipulent des médicaments dangereux. On doit tenir compte d’une évaluation locale du risque lors de la conception du programme de surveillance.

15.3.1.2 Le programme doit être communiqué à tout le personnel concerné. Le but, la méthode et ses limites, l’interprétation des résultats et les moyens qui seront pris pour améliorer les situations jugées critiques doivent être expliqués et compris.

15.3.2 Surveillance environnementale

Mettre en place un programme de surveillance environnementale, selon les modalités suivantes.

15.3.2.1 Chaque établissement devrait prévoir des activités régulières de surveillance de l’environnement et des activités de travail. Un programme de surveillance environnementale devrait permettre de vérifier périodiquement l’état de contamination par des médicaments dangereux des surfaces de travail au sein de l’établissement.
L’établissement peut faire appel au Laboratoire de toxicologie de l’INSPQ qui offre des tests pour mesurer la contamination de surface de trois médicaments dangereux (voir annexe 5).

15.3.2.2 Une évaluation devrait précéder le début de l’application des mesures de prévention proposées dans le guide de l’ASSTSAS et après leur implantation.
Par la suite, une évaluation devrait être faite annuellement ou lors de changements importants au niveau des aménagements (ex. : changement d’enceintes de préparation) ou des pratiques (ex. : nouvelles techniques de préparation ou d’administration, nouveau protocole d’entretien).
Les évaluations peuvent aussi servir à valider l’efficacité des mesures d’entretien (par ex. : après la décontamination de l’enceinte de sécurité pour valider l’efficacité de la décontamination).

15.3.2.3 On peut mesurer l’état de contamination chimique au département de pharmacie à partir des sites suggérés suivants :

  • zones de réception et déballage (table de déballage, surface extérieure de contenants de médicaments provenant des fabricants, planchers, etc.) ;
  • zone d’entreposage (table de travail, tablettes pour entreposage, chariot, etc.) ;
  • zone de préparation (surface de travail de l’enceinte de préparation, grille avant de la surface de travail de l’enceinte, plancher devant la hotte, fenêtre externe de l’enceinte de préparation, comptoir de vérification contenant/contenu, porte du réfrigérateur, plancher sous la chaise de l’assistant-technique, extérieur des sacs de médicaments, intérieur des boîtes de transport etc.).

Bien qu’il n’existe pas de nombre minimal de sites recommandé, nous pensons qu’un échantillon d’au moins 12 sites par pharmacie est suffisant. Les sites de mesure et la périodicité de vérification sont fixés en tenant compte des résultats obtenus et de la fréquence des tâches effectuées.

15.3.2.4 On peut mesurer l’état de contamination chimique sur les unités de soins et dans les cliniques externes à partir des sites suggérés suivants :

  • zone d’administration (tubulures, plancher près des lieux d’administration, téléphone, poignée de porte, mur où les blouses (si réutilisées) sont suspendues, comptoir utilisé pour l’amorce des tubulures de médicaments dangereux, bras de fauteuils, plancher près des poubelles de médicaments dangereux, etc.) ;
  • autres zones (salle d’attente pour patients, chambres de patients, zone d’entreposage des déchets cytotoxiques, zone de rangement pour matériel de l’entretien sanitaire, etc.) Les sites de mesure et la périodicité de vérification sont fixés en tenant compte des résultats obtenus et de la fréquence des tâches effectuées.

15.3.2.5 L’établissement doit tenir un registre des résultats des mesures environnementales ; les résultats positifs doivent être discutés au comité sur les médicaments dangereux afin d’apporter des correctifs et de modifier, si nécessaire, le programme de prévention. En s’inspirant de l’art. 43 du Règlement sur la santé et la sécurité au travail, on devrait conserver les registres pour une période d’au moins 5 ans. Il peut être utile de les conserver plus longtemps, à des fins d’études rétrospectives.

15.3.3 Surveillance médicale et biologique

Mettre en place un registre des expositions accidentelles

15.3.3.1 Chaque établissement devrait tenir un registre des épisodes d’exposition accidentelle, consigné au bureau de santé.

15.3.3.2 La surveillance médicale des effets, au moyen de questionnaires et d’examens, incluant la biosurveillance de la génotoxicité, ne devrait pas être instaurée parce qu’elle ne permet pas de prévenir efficacement les problèmes de santé reliés à l’exposition aux médicaments dangereux. (+)

15.3.3.3 La démonstration de l’utilité et de l’efficacité de la surveillance biologique de l’exposition n’est pas complète et on ne dispose pas encore de protocoles validés. Il s’agit cependant d’une avenue de recherche très intéressante dont les progrès devraient être suivis activement. Nous ne recommandons pas d’instaurer une telle surveillance systématique pour l’instant.

15.3.3.4 Toute exposition accidentelle importante (i.e. exposition directe de la peau, des téguments et des muqueuses) à des médicaments dangereux doit être déclarée au service de santé de l’établissement et consignée au dossier du travailleur qui doit en être informé. On doit consigner ces événements au registre des expositions accidentelles. On doit discuter périodiquement (par ex. une fois par année) du profil des cas d’expositions accidentelles avec le Comité sur les médicaments dangereux de l’établissement, de leurs causes, de leurs impacts et des mesures correctrices pertinentes.

15.3.4 Retrait préventif

Adopter des règles en ce qui concerne le retrait préventif des travailleuses enceintes ou qui allaitent exposées aux médicaments dangereux.

15.3.4.1 L’employeur doit appliquer les recommandations émises lors d’une demande de retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, et ce, conformément aux articles 40 et suivants de la Loi sur la santé et la sécurité au travail. L’employeur peut donc réaffecter la travailleuse dans des espaces qui ne sont pas contaminés et qui ne risquent pas de l’être accidentellement lorsque le risque de manipulation de médicaments dangereux est signifié sur le certificat.

En parallèle de ces travaux, la Corporation d’hébergement du Québec, un organisme chargé d’établir des normes d’aménagement des bâtiments du réseau de la santé, a publié deux projets de normes sur les salles blanches et sur les pharmacies d’oncologie.

En conclusion, la mise en place d’un programme québécois de surveillance environnementale des médicaments dangereux, combinés à la publication d’un guide sur les médicaments dangereux, d’une évaluation pré-post de la conformité des établissements de santé et de la tenue d’événements de formation va sans doute contribuer à la mise à niveau de la pratique.

[1United States Pharmacopeia – General chapter (797) Proposed revisions – [cité le 20060830] ; http://www.usp.org/USPNF/pf/generalChapter797.html

[2Bussières JF, Prot-Labarthe S, Lefebvre M, Gallant C. Interprétation des niveaux de contamination en médicaments dangereux. Bulletin d’information toxicologique. INSPQ. 2006 ; 22(2) : 17-24

[3Bussières JF, Touzin K. Monitoring of hazardous drugs in hospital practice. Hospital Pharmacy in Europe. 2007 ; july/august

[4Warner T, Hall K, Survey of Sterile Admixture Practices in Canadian Hospital Pharmacies. Can J Hosp Pharm 2007 (under press) ; résultants québécois ont été publiés ; Bussières JF, Vaillant L, Warner T, Hall K. Enquête sur les préparations stériles en établissements de santé : Portrait de la situation québécoise en 2007. Pharmactuel 2007 ; 40(4) :228-31

[5Bussières JF, Gagnon K, Bérard K, Gallant C, Barret P. Enquête québécoise sur les préparations et administration de médicaments dangereux incluant les cytotoxiques. Pharmactuel 2007 ;40:37-42

[6Bussières J, Sessink PJ, Prot-Labarthe S, Larocque D. Évaluation de l’exposition professionnelle aux antinéoplasiques dans une unité de pharmacie hospitalière. Archives des Maladies Profesionnelles 2006 ;67(6) :880-88

[7Bussières J, Théorêt Y, Prot-Labarthe S, Larocque D. A one year pilot study to monitor surface contamination by methotrexate in a hemato-oncology pharmacy satellite. Am J Health-Syst Pharm 2007 ; 64:531-5

[8Dranitsaris G, Johnston M, Poirier S, Schueller T, Milliken D, Green E, Zanke B., "Are health care providers who work with cancer drugs at an increased risk for toxic events ? A systematic review and meta-analysis of the literature" J Oncol Pharm Pract. 2005 Jun ;11(2):69-78

[9Bussières JF, Plante R. Surveillance médicale, biologique ou environnementale. Objectif prévention 2006 ; 29(5) :24-6

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